Résolution sur le secret professionnel – Barcelone, 2000

Nouvelle traduction

 

La Fédération des Barreaux d’Europe, réunie à Barcelone le 12 mai 2000,

Vu la Convention des Nations-Unies du 20 décembre 1988 sur le contrôle du trafic de stupéfiants et de substances psychotropes,

Vu la Convention du Conseil de l’Europe du 8 novembre 1990 relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime,

Vu la directive 91/308 CEE du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux,

Vu la proposition de directive du 14 juillet 1999 du Parlement Européen et du Conseil modifiant la directive du 10 juin 1991 visant l’extension des obligations prévues à l’article 2 bis.V de la Convention du 10 juin 1991 aux Notaires ou autres membres de professions juridiques indépendantes,

Vu le projet de rapport de la Commission des Libertés et des Droits des Citoyens de la Justice des Affaires Etrangères et du Parlement Européen du 16 décembre 1999,

Vu la résolution adoptée par la Fédération lors de son Congrès de Naples du 30 avril 1994 sur le secret professionnel de l’Avocat,

Vu la résolution adoptée lors de son Congrès de Malaga le 3 mai 1996 sur la protection du secret,

A ADOPTE LA RESOLUTION SUIVANTE :

1. Sur la nature du secret professionnel de l’Avocat

La Fédération reprenant son affirmation solennelle figurant dans sa résolution de MALAGA rappelle :

¨ que le secret professionnel de l’Avocat – droit et devoir pour l’Avocat lui-même – est une condition indispensable au bon fonctionnement de la justice et à l’harmonie sociale ;

¨ que le secret des Avocats leur est imposé comme une des plus exigeantes obligations éthiques de leur profession liées à la raison d’être de la fonction de l’Avocat ;

¨ que ce secret est attaché à l’exercice par l’Avocat de ses activités de conseil, d’assistance et de défense telles que définies par son statut professionnel ;

¨ que suivant les termes-mêmes de l’arrêt de justice des Communautés Européennes AM et S du 18 mai 1982, la confidentialité (dans les relations entre l’Avocat et son client) répond en effet à l’exigence dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des Etats que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son Avocat dont la profession même comporte la tâche de donner de façon indépendante des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin ; qu’il en résulte que le respect du secret professionnel constituant pour l’Avocat une obligation absolue est dès lors opposable à tous.

2. Les risques d’atteinte au secret professionnel

La nécessaire recherche des preuves des crimes et délits pouvant conduire jusqu’à des perquisitions dans les Cabinets d’Avocats,

la nécessité de combattre le crime organisé à l’échelle nationale et internationale et à cet effet d’empêcher l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux avec l’obligation qui serait faite aux professions juridiques indépendantes de communiquer d’éventuels soupçons de toute activité criminelle en général ou de blanchiment de fonds en particulier telle que visée dans la proposition d’extension des dispositions de la directive du 10 juin 1991,

peuvent conduire à toute atteinte au secret professionnel de l’Avocat.

de même, l’évolution de la profession d’Avocat conduisant à la création de structures interprofessionnelles nationales ou internationales comporte également des risques d’atteinte à ce secret.

La Fédération, au regard de ces nécessités et de cette réalité, et soucieuse à la fois de conserver intégralement au secret professionnel sa légitime portée, entend par la présente résolution veiller à en assurer la protection en même temps qu’elle réaffirme solennellement que le secret professionnel de l’Avocat, s’il est attaché à l’exercice de ses activités, ne saurait en aucun cas couvrir une quelconque activité illicite de sa part.

A. Sur les perquisitions dans les Cabinets d’Avocats

Attendu que les perquisitions dans les Cabinets d’Avocats doivent répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité tels que rappelés à plusieurs reprises par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Qu’à cet effet, les législations nationales doivent prévoir des conditions d’organisation et de réglementation de la perquisition assurant le respect desdits principes et conduisant à interdire toute perquisition dont l’objet ne comporterait aucune limitation ou dans des conditions excluant toute discrétion ;

Qu’à cet effet encore, les Bâtonniers et Présidents de Collège d’Avocats ou leurs délégués doivent se voir reconnaître le droit de veiller au respect du secret professionnel par l’autorité qui précède à ces perquisitions.

La Fédération rappelle en outre la nécessité d’instauration d’un contrôle réel du respect de la confidentialité inhérente aux droits de la défense, soit qu’il s’agisse d’un contrôle à priori, les mesures d’investigations devant être soumises au préalable à l’autorisation d’un Juge distinct de celui qui procède à la perquisition, soit d’un contrôle a posteriori par un Juge, que les Bâtonniers et Présidents de Collège d’Avocats ou leurs délégués pourraient saisir de toute difficulté née lors de la perquisition à propos d’une atteinte au respect du secret professionnel.

B. Sur la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux

La Fédération rappelle les termes solennels de la résolution prise à Malaga le 3 mai 1996 faisant en particulier obligation à l’Avocat de cesser immédiatement toute participation directe ou indirecte à une activité illicite à laquelle pourrait concourir ses conseils ou son assistance.

La Fédération rappelle avec la même solennité que toute obligation de dénonciation qui incomberait à l’Avocat est incompatible avec les règles du secret professionnel, que les faits dont il a eu connaissance ou les soupçons qui lui sont venus se soient révélés dans le cadre de son activité de défense ou dans celle de conseil.

La Fédération ne saurait se satisfaire de dispositions telles que celles prévues par la nouvelle directive désignant l’Ordre des Avocats ou un organe d’auto-réglementation approprié de la profession comme devant recevoir la dénonciation par l’Avocat dès lors que l’Ordre des Avocats ou l’organe ainsi désigné aurait lui-même à saisir les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment des capitaux, un tel système n’en amenant pas moins l’Avocat à violer le secret professionnel dont il est dépositaire en reportant à l’autorité ainsi désignée l’obligation de la délation.

La Fédération, consciente néanmoins de ce que la profession d’Avocat ne saurait en aucun cas faciliter par le secret qu’ainsi elle revendique les opérations de blanchiment de capitaux, rappelle que si le secret doit protéger la relation avec l’Avocat agissant dans le cadre d’activités indépendantes de conseils juridiques, la directive du 10 juin 1991 pourrait trouver à s’appliquer à l’Avocat mais seulement lorsque celui-ci réalise des actes de gestion ou de financement dans des activités d’intermédiaires financiers.

La Fédération rappelle qu’en sa résolution de Malaga, elle invitait fermement les Ordres et Collèges d’Avocats membres aux fins d’aider les Avocats à discerner le caractère illicite ou non des opérations pour lesquelles leur concours est sollicité, d’adopter et d’appliquer lorsqu’elles existent les règles strictes de contrôle effectif concernant les maniements de fonds et paiements en espèces par l’intermédiaire des Avocats ;

Qu’en particulier, les Avocats ont l’obligation d’identifier le client ou l’ayant-droit économique pour le compte desquels ils agissent ;

Qu’il est interdit aux Avocats de recevoir ou de manier les fonds qui ne correspondent pas strictement à un dossier nommément identifié.

Aux fins de voir les organisations professionnelles apporter leur concours actif à la lutte nécessaire contre la criminalité organisée, les Ordres et Collèges d’Avocats veilleront à alerter leurs membres par toute formation appropriée visant à accroître la vigilance des avocats et à une application stricte des règles déontologiques de la profession.

La Fédération elle-même entend s’associer au Conseil Européen dans l’élaboration des dispositions les plus efficaces pour la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux dès lors que les dispositions ainsi prises seraient respectueuses du secret professionnel tel que défini ci-dessus.

Les organes représentatifs de la Fédération prendront toute initiative en ce sens.

C. Structures pluridisciplinaires et secret professionnel de l’Avocat

La Fédération constate que l’exercice de la profession d’Avocat au sein de structures pluridisciplinaires ne rencontre pas l’adhésion de l’ensemble des Barreaux représentés.

Rappelle qu’une telle pratique ne saurait, en aucun cas, se développer dans des conditions portant atteinte au secret professionnel de l’Avocat.

La Fédération,

Consciente que l’exercice dans une même structure de professions différentes répondant à des déontologies qui leur sont propres comporte un tel risque,

Consciente également que cette pratique par les occasions de conflits d’intérêts qu’elle peut faire naître entraîne des risques semblables,

Souligne la nécessité d’une coopération entre les différentes professions concernées pour que soit assuré le parfait respect de la déontologie de l’Avocat au sein de semblables structures.

La Fédération rappelle

Qu’en tout état de cause, les Avocats membres de ces structures devront veiller à une transparence complète, chaque Avocat devant porter à la connaissance du public son éventuelle appartenance à une telle structure ;

Qu’au sein de cette structure, les Avocats doivent veiller à ce que soient institués des statuts définissant avec précision les conditions d’information permettant d’éviter l’existence de conflits d’intérêts.

Que les statuts devront également rappeler la règle de l’indépendance de l’Avocat dans son exercice professionnel et du respect par lui du secret professionnel à l’égard en particulier des membres des autres professions représentées au sein de la structure concernée.

La Fédération œuvrera pour qu’intervienne en ce sens une réglementation dans une perspective communautaire et internationale.